La révolution silencieuse des communes nouvelles

Le discours est entendu depuis longtemps à Paris : le nombre de communes françaises engendrerait un émiettement territorial qui couterait cher et nuirait à l’efficacité des politiques publiques. C’est en vertu de cette idée que les communes ont été très incitées, parfois forcées, à rejoindre une intercommunalité durant les dernières décennies.

Ce débat n’est d’ailleurs pas terminé au moment où s’élèvent de plus en plus de voix pour considérer que les intercommunalités devraient bénéficier d’une reconnaissance démocratique plus forte, voire obtenir le statut de collectivité territoriale, posant la question même du devenir des communes. Il est vrai que les EPCI apportent de plus en plus de services à la population (éclairage public, ordures ménagères, accueil des enfants, transports, etc…) et que nombre de mutualisations en cours les placent dorénavant en première ligne des acteurs publics locaux aux yeux de la population.

Dans le même temps, le discours communaliste favorable au maintien des communes ne manque pas d’arguments. On voit ainsi se multiplier partout des initiatives de démocratie de proximité, au travers notamment des conseils de quartier, preuve d’un besoin réel d’ancrer l’action publique locale dans un dialogue de plus grande proximité avec les habitants : il y a donc une sorte de paradoxe à vouloir renforcer le rôle des intercommunalités tout en constatant la demande croissante de proximité au sein même des communes.

Dans ce débat sempiternel, l’émergence des communes nouvelles pourrait constituer une réponse de nature à répondre à ce paradoxe. Certes, l’initiative n’a pas connu le succès escompté par ses promoteurs initiaux : moins de 8% des communes y ont souscrit, suscitant la création de 787 communes nouvelles à ce jour.

Pour autant, on aurait sans doute tort de s’en tenir à ce constat de semi-échec quantitatif car les communes nouvelles ont une différence majeure d’avec l’intercommunalité : elles n’émergent que si et seulement si les élus locaux le désirent et si les populations adhèrent au projet. C’est dire qu’une commune nouvelle ne peut naître qu’à partir d’un projet de territoire partagé entre tous et non d’une initiative venue d’ailleurs.

Une telle démarche s’inscrit forcément dans le temps : celui nécessaire aux réflexions entre élus, à la construction des projets locaux partagés et à l’appropriation de l’ambition par les habitants. Pourtant, les expériences menées aux quatre coins de la France montrent que les communes nouvelles ont souvent permis ici de sauver une école condamnée, là de répondre au besoin de services des habitants ou ailleurs de réaliser un équipement dont la construction et l’entretien aurait été hors de portée de la commune.

Dans ce lent processus de maturation des projets et des esprits, il y a des échecs, il ne faut pas le cacher. Des patriotismes communaux ré-émergent parfois là où on ne les attendait pas ; des craintes de déséquilibres au sein d’un mini bassin de vie apparaissent parfois. De vieilles rancœurs de clocher peuvent de temps en temps resurgir. Il peut même se trouver des circonstances où l’intercommunalité existante constitue un frein psychologique à l’initiative des communes nouvelles, alors même qu’elles permettent pourtant dans certains cas de renforcer le poids réel des communes les moins peuplées dans l’espace communautaire .

Loin des fusions contraintes de communes des années 70 ou des schémas départementaux de coopération intercommunale souvent fermement “accompagnés” par les Préfets, les communes nouvelles apparaissent comme une réponse novatrice parce que leur création part des besoins et attentes du terrain et des projets qu’elles rendent possibles.

L’Association des Maires de France parle, à propos des communes nouvelles de «révolution silencieuse». Peut-être, en effet, cette révolution est-elle en marche…

Bernard LUSSET