On a beaucoup dit qu’avec le COVID et le développement conjoint du télé-travail, beaucoup de citadins auraient fui les grandes villes et notamment la région parisienne au profit de la province et singulièrement de la campagne. La Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) a mené une étude approfondie sur cette question et a publié en février 2023 les résultats de son travail (à lire en fin d’article) en comparant les mouvements de population avant et après la pandémie.
Ses conclusions sont claires : la crise sanitaire du COVID n’a fait qu’amplifier et accélérer des tendances qui étaient déjà à l’œuvre auparavant. L’étude affine d’ailleurs le profil et les motivations de ceux qui ont quitté les centres urbains depuis mars 2020.

L’étude montre que durant et après la crise sanitaire, les ménages français ont cherché à s’installer dans les mêmes zones qu’avant la pandémie. Sans surprise, on retrouve donc l’attractivité résidentielle d’abord des métropoles régionales (Marseille, Lyon, Lille, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, Brest et Nice), mais aussi des zones littorales ainsi que des espaces périurbains.
Depuis la crise, de nombreux ménages ont quitté les centres urbains les plus denses, comme Paris intra-muros, pour leur périphérie ou encore au profit des villes plus petites de moins de 100 000 habitants.
Ont également été bénéficiaires de ce mouvement les territoires ruraux les plus proches des centres urbains ou bénéficiant d’atouts spécifiques (accessibilité, climat, dynamique économique favorable…).
L’ensemble de ces destinations a représenté 18,1% des déménagements post-Covid (contre 17,2% avant) soit une très légère augmentation. Cette relative stabilité des chiffres se retrouve dans l’analyse plus fouillée qui est menée. Ainsi 36,5% des déménagements après COVID se font de grande ville à grande ville (contre 37,5% avant), 27,9% au sein de la même commune (29,2% avant), 56,4% entre villes de même taille (57,8%). Les résultats invitent donc à nuancer grandement l’idée d’un exode urbain qui aurait bouleversé les structures territoriales françaises. Dans les faits, la géographie des projections et des déménagements des Français dans le « monde d’après » ressemble finalement très fortement à celle du « monde d’avant », c’est-à-dire principalement structurée autour des pôles urbains, qui concentrent emplois, services, structures éducatives, ainsi qu’une grande partie de la population française.
La France d’après-COVID est donc une France de plus en plus urbaine nourrissant des phénomènes préexistants :
- la métropolisation, qui concentre fonctions et population dans les grands centres urbains régionaux.
- la périurbanisation, qui, en s’étendant à des territoires plus éloignés, devient une« méga-périurbanisation »
- le desserrement urbain, en particulier dans les villes les plus denses, qui entraîne le départ de certains ménages des cœurs des villes
- la « renaissance rurale », qui se traduit par un renforcement de l’attractivité des espaces de villégiature, au cœur de circulations résidentielles et de pratiques pluri-résidentielles
- la littoralisation, qui se poursuit et confirme le pouvoir d’attraction des territoires littoraux.
En ce sens, l’exode urbain tient triplement d’un mythe : loin d’un bouleversement territorial, la pandémie de Covid-19 a principalement accéléré et renforcé des tendances préexistantes à la crise. De même, l’idée d’un désamour global des villes, sous-entendu par l’adjectif « urbain » accolé à « exode », est tout à fait exagérée : si départs il y a, ils concernent principalement les cœurs des villes les plus grandes – les métropoles – et de nombreux déménagements se relocalisent dans des villes. Enfin, le terme d’exode est associé à un mouvement massif de population : or, ce n’est pas ce qui caractérise les mobilités observées depuis mars 2020.
Mythe aussi, celui d’un profil-type de ménages susceptibles de déménager à la faveur de la crise : les traitements médiatiques des mobilités démographiques à la suite des confinements ont en effet eu tendance à construire une image binaire des « exodeurs » : parfois des ménages de classe supérieure, dotés d’un fort capital socioculturel et économiques et s’inscrivant dans des démarches multi-résidentielles et souvent des ménages qui « ont quitté la ville » pour un changement de vie. Les travaux de terrain soulignent que, si ces deux profils existent bien, la réalité sociologique des ménages qui déménagent à la faveur de la crise est bien plus diversifiée et s’émaille aussi de profils en situation de précarité, de pré-retraite ou encore de dynamiques nouvelles d’investissement en milieu rural.
Sur le terrain, les réalités des migrations urbaines impulsées par le Covid sont donc à aborder au pluriel et au travers d’une attention à l’extrême diversité des territoires.