Abstention : les Maires ne sont plus à l’abri

On sait à quel point le rapport des Français à la politique s’est considérablement dégradé au cours des trente dernières années : l’image du personnel politique s’est ternie et le clivage gauche/droite s’est atténué. Dans ce mouvement de fond, deux élections semblaient relativement épargnées : l’élection présidentielle et l’élection municipale. Or, l’analyse des scrutins passés montre qu’en réalité, si cette désaffection a été plus tardive et moins massive, elle touche désormais aussi ces deux élections dont on pensait pourtant qu’elles continuaient de mobiliser les citoyens.

Le risque est pourtant bien réel et, arrivés au premier tiers de leur mandat, les maires (mais ça vaut aussi pour les autres élus locaux) seraient bien inspirés de prendre toute la mesure de ce mouvement de fond qui pourrait bouleverser les résultats des municipales de 2026, quelle que soit la taille de la commune. D’autant que la montée de l’abstention n’est que le symptôme de tendances plus profondes au sein de l’opinion.

« Mère » de toutes les élections, la présidentielle est le scrutin qui, par excellence, mobilise les Français. De 1965 à 1988, le taux d’abstention, tout en progressant, y est demeuré inférieur à 20% (sauf en 1969) : il passe de 15,2% au 1er tour de la présidentielle de 1965 à 18,6% en 1988. Mais à partir de 1995, l’abstention s’amplifie (21,6% en 1995 et 28,4 % en 2002), sauf en 2007 (16,2%), puis repart à la hausse : 20,5% en 2012 et 22,2% en 2017. Elle sera même de 26,3% au premier tour et 28 % au second dans les dernières présidentielles.


Tout se passe comme si la diversité de l’offre politique au premier tour ne suffisait plus à enclencher le vote de citoyens qui considèrent que, de toutes façons, la politique est sans impact sur leur vie quotidienne : pourquoi, dès lors, aller voter ?

Ce qui vaut pour les présidentielles vaut plus encore pour les autres scrutins (législatives, européennes, régionales, départementales) où l’abstention ne cesse de progresser, dans une proportion plus forte encore. L’élection municipale, scrutin de proximité par excellence, échappe-t-elle à ce mouvement ? L’analyse montre qu’il n’en est rien.

Ainsi aux dernières municipales de 2020, moins d’un électeur sur deux (44 %) s’est déplacé au premier tour pour élire son conseil municipal et ils n’étaient plus que 41% au second tour. Certes, la crise sanitaire a créé des circonstances très exceptionnelles pour ce scrutin-là. Mais le Covid ne saurait expliquer à lui seul ces chiffres comme en témoigne la courbe ci-dessous :

En réalité depuis 20 ans, l’élection municipale mobilise de moins en moins d’électeurs : quelque chose s’est cassé entre les Français et la vie électorale du pays. Différents facteurs mis en évidence dans de nombreuses études peuvent expliquer l’origine de cette désaffection :

  • L’accumulation des crises (financières, sanitaires, terroristes, climatiques, sociales et même guerrières) crée dans une opinion qui varie au gré de ces évènements une attente de protection immédiate peu compatible avec le débat et le calendrier politiques ordinaires sur les réformes à mener.
  • La fragmentation de l’électorat est accentuée par l’émergence de nouveaux médias où se mêlent indifféremment vraies et fausses nouvelles, voire campagnes de désinformation orchestrées, y compris dans certains médias traditionnels (exemple de médias d’opinion avec CNews). Cette dislocation d’un débat public argumenté fait perdre beaucoup de son sens au débat démocratique électoral qui parait déphasé.
  • L’émergence du génération durablement dépolitisée : certes les jeunes votent traditionnellement moins que leurs ainés mais on voit qu’en progressant en âge, ces générations nouvelles continuent de se tenir éloignées du débat public et de bouder les urnes. Rien n’indique d’inversion de tendance sur ce point jusque là.
  • La quasi-disparition des partis politiques, à l’image du score des candidates des deux principales forces politiques au premier tour de la présidentielle 2022 (Pécresse : 4,78% et Hidalgo 1,75 %) ramenant ces deux forces politiques majeures de la Vème République à des niveaux insoupçonnés.
  • L’électorat est de plus en plus mobile et on observe que l’opinion ne se cristallise que dans les tous derniers jours avant le scrutin, au gré des derniers rebondissements médiatiques, comme dans un feuilleton, passant allègrement de la droite à la gauche et inversement.

Dans ce contexte, il semble évident que l’abstention n’est que la partie émergée d’une désaffection profonde des citoyens à l’égard du politique. C’est une donnée à laquelle nul scrutin n’échappera désormais et qui nécessite que les élus –à commencer par les Maires et les élus municipaux– prennent en compte cette forme nouvelle de participation citoyenne au débat public, aussi déroutante qu’elle puisse leur paraître parfois.

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