L’INSEE vient de publier une étude fouillée sur la participation aux élections présidentielle et législatives de 2022. Elle permet de donner un contenu scientifique global aux constatations que les présidents de bureau de vote ont pu réaliser de manière empirique. Il en ressort que 16% des électeurs inscrits en métropole et DOM n’ont voté à aucun des quatre tours de ces élections nationales du printemps : l’INSEE les appellent les abstentionnistes systématiques. À l’inverse, 84 % des inscrits (37 millions d’électeurs) ont donc participé à au moins un tour : 36 % ont participé à tous les tours (votants systématiques) et 48 % ont voté par intermittence, en participant au moins une fois mais pas à tous les tours. Comme en 2017, le vote par intermittence est ainsi le comportement majoritaire des électeurs.

Dans le détail, l’étude confirme que l’élection présidentielle demeure l’élection qui mobilise le plus les électeurs : 83 % des inscrits ont participé à au moins un tour de cette élection contre seulement 58 % pour les élections législatives. Cette donnée est confirmée par le comportement des votants intermittents : plus de la moitié d’entre eux (54 %) n’ont voté qu’à l’élection présidentielle (38 % aux deux tours et 16 % à l’un des deux tours) et 31% ont voté aux deux tours de la présidentielle mais à un seul tour des élections législatives. L’INSEE fait le même constat concernant les procurations : 5 % des inscrits en ont établi au moins une pour la présidentielle contre 3 % des inscrits pour les législatives.
L’abstention systématique plus élevée pour les jeunes et les personnes les plus âgées
Parmi les inscrits sur les listes électorales âgés de moins de 35 ans, 24 % n’ont voté à aucun tour des élections nationales de 2022 (contre 16 % de l’ensemble des inscrits tous âges confondus). Entre 30 et 50 ans, l’abstention systématique diminue avec l’âge puis se stabilise entre 50 et 69 ans, autour de 9 %. L’abstention systématique croît ensuite de plus en plus vite avec l’âge, atteignant même 56 % chez les inscrits de 90 ans ou plus.
Le vote systématique augmente avec l’âge, jusque vers 80 ans : plus de la moitié des inscrits de 70 à 79 ans ont voté à tous les tours des scrutins, contre moins d’un jeune sur cinq entre 18 et 34 ans. Inversement, le vote intermittent diminue avec l’âge : 60 % des inscrits âgés de 18 à 24 ans ont voté par intermittence, contre seulement 24 % des inscrits de 90 ans ou plus. Chez les jeunes adultes, c’est donc le vote intermittent qui domine très nettement. Ce n’est qu’entre 60 ans et 89 ans que le vote systématique est le comportement le plus fréquent, devant le vote intermittent.
L’attrait pour l’élection présidentielle est plus marqué chez les jeunes adultes
À tous les âges, il est plus fréquent de voter à la présidentielle qu’aux législatives. Mais la préférence pour l’élection présidentielle est d’autant plus marquée que les inscrits sont jeunes. Ainsi, parmi les inscrits de moins de 30 ans, 74 % ont voté au moins une fois à la présidentielle contre 35 % aux législatives, soit un écart de près de 40 points. Il n’y a qu’un écart d’une dizaine de points pour ceux âgés de 80 ans ou plus : respectivement 80 % et 69 % de participation à la présidentielle et aux législatives pour les 80-84 ans, 43 % et 33 % pour les 90 ans ou plus.
Lorsque les jeunes électeurs votent par intermittence, ils ne participent donc généralement qu’à un ou deux tours de l’élection présidentielle. Ainsi, parmi les votants intermittents, 69 % des moins de 30 ans n’ont voté qu’à l’élection présidentielle, contre seulement 39 % des votants intermittents de 70-84 ans, dont la majorité (57 %) a participé à au moins un tour de chaque élection.
Les plus diplômés privilégient le vote systématique
La participation au vote augmente avec le niveau de diplôme. Seuls 10 % des inscrits de 25 ans ou plus ayant un diplôme de l’enseignement supérieur n’ont voté à aucun tour des élections nationales de 2022, contre 30 % parmi ceux n’ayant pas de diplôme. Les plus diplômés sont les plus enclins au vote systématique. La participation diffère également selon les groupes socioprofessionnels, qui reflètent en partie la possession d’un diplôme. Ainsi, les inscrits de 25 ans ou plus qui sont ou ont été ouvriers non qualifiés sont trois fois plus souvent abstentionnistes systématiques en 2022 que les cadres (24 % contre 7 %). La participation croît aussi avec le niveau de vie : parmi les 25 % d’inscrits les plus modestes, 30 % ont voté à tous les tours des élections, contre 48% des inscrits parmi les 25% les plus aisés.
Les inscrits qui vivent en couple ont participé plus souvent aux élections de 2022 (89 % ont voté au moins une fois) que les autres (77 %). En effet, les âges auxquels l’on vit le plus fréquemment en couple sont proches de ceux où la participation est la plus élevée. Mais cela n’explique pas tout : «toutes choses égales par ailleurs», vivre en couple a un effet d’entraînement sur le vote. Ces écarts selon les situations sociales et familiales constatés sur la participation électorale s’additionnent avec ceux observés, plus en amont, sur l’inscription sur les listes électorales.
La Nouvelle Aquitaine, bonne élève de la participation
Le vote systématique est plus fréquent en Nouvelle-Aquitaine (42 % en 2022, contre 36 % en France). C’est également le cas dans deux autres régions de la façade atlantique, la Bretagne et les Pays de la Loire (39 %) et dans une moindre mesure, en Occitanie et Bourgogne-Franche-Comté (38 %). Enfin, sans surprise, l’INSEE notent que les inscrits vivant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) se sont abstenus deux fois plus souvent aux deux scrutins nationaux : 29 % en 2022, contre 16 % pour ceux résidant en dehors d’un QPV. Cela s’explique surtout par leurs caractéristiques sociodémographiques. Ils sont en effet à la fois plus jeunes et moins diplômés, ont un niveau de vie plus faible, caractéristiques associées à une moindre participation aux votes. À caractéristiques sociales identiques, les différences entre résidents des QPV et autres habitants sont très nettement atténuées.
Le vote systématique est un peu plus fréquent parmi les inscrits résidant en zone rurale (39 %) que parmi ceux qui résident en zone urbaine (35 %), plus jeunes mais aussi plus diplômés.
Les enseignements politiques de cette étude
Le succès de participation à l’élection présidentielle, même si elle décroit avec le temps, s’explique sans doute à la fois par le rôle politique central joué par le Président de la République dans nos institutions et par son mode de scrutin qui en fait le seul élu commun à tous les Français. Pour ces raisons, cette élection bénéficie d’une couverture médiatique qui contribue certainement, au-delà des enjeux eux-mêmes, à mobiliser l’électorat. L’élection législative ne bénéficie pas au plan local de la même couverture et le député ne jouit pas non plus de la même notoriété auprès des électeurs. Sans doute, l’inversion du calendrier électoral, qui fait de l’élection législative plus ou moins un vote de confirmation du résultat 40 jours plus tard, contribue-t-elle, avec la lassitude, à réduire la participation.
Ceci dit, les enseignements sociologiques à retirer de cette étude de l’INSEE vont au-delà : on y voit émerger deux France : l’une plutôt adulte, relativement aisée et diplômée qui vote et une autre, aux deux extrémités de la pyramide des âges, en situation économique et sociale plus précaire et moins diplômée qui vote moins et de manière beaucoup plus intermittente. Cette observation ne peut qu’interroger sur la manière à la fois dont la politique est ainsi démocratiquement fondée mais aussi sur les moyens de sensibiliser les électeurs les plus éloignés à l’importance de leur rôle citoyen.
