Petite histoire des vœux présidentiels

Nous reproduisons ci-dessous un article paru le 30 décembre 2014 par le journal “Les Echos” consacré à la cérémonie désormais traditionnelle des vœux présidentiels. Parcours historique intéressant à découvrir :

C’est une tradition instaurée par le général de Gaulle au début de la Vème République. Chaque président en exercice présente aux Français ses vœux de Nouvel an. Une allocution qui permet à chacun de diffuser quelques messages. Même si, au final, l’exercice n’a guère changé, en dépit de petites modifications de forme. Retour sur une cinquantaine de prestations qui ne s’achèvent pas toujours sur la Marseillaise.

Les vœux les plus courts
Georges Pompidou n’est pas seulement le détenteur, bien malgré lui (il est mort en fonction le 2 avril 1974), du mandat le plus court de la Vème République. Il est aussi celui qui a prononcé l’allocution de Nouvel an la plus brève : 3 minutes 45 secondes à peine, le 31 décembre 1969. Le temps d’appeler à « l’espérance » et à la « solidarité » (« Puissent tous les Français se sentir tous solidaires, enfants de la même patrie »), avec le souci de se montrer plus direct et moins distant que son prédécesseur. « Ma première pensée va à tous ceux qui qui ne pourront pas participer à la joie générale », insiste-t-il – une première devenue depuis une habitude. L’année précédente, dans ses derniers vœux avant de céder le pouvoir, le général de Gaulle avait expliqué que son « cœur » à lui n’était pas épargné par « les soucis au sujet du sort de la France ». C’est d’ailleurs le général de Gaulle qui a prononcé les vœux de la Saint-Sylvestre les plus longs : 18 minutes le 31 décembre 1961. Au cours de ses deux mandats, il n’a fait moins de 10 minutes qu’une seule et unique fois, le 31 décembre 1965. A cette époque, les vœux sont encore en noir et blanc. Les premiers en couleurs sont diffusés le 31 décembre 1967, sur la deuxième chaîne.

Les tentatives de VGE
De tous les présidents, Valéry Giscard d’Estaing est sans conteste celui qui a le plus tenté de dépoussiérer l’exercice, même si cela n’a pas toujours été, loin s’en faut, une totale réussite. Pas une seule fois il n’achève son intervention par le traditionnel « Vive la République, vive la France ! », déjà délaissé par Georges Pompidou qui, cherchant à apparaître moins compassé que le général de Gaulle, lui préférait « Que vive la France ! » ou « Vive notre France ». Pour ses premiers vœux après son élection, le 31 décembre 1974, le nouveau et jeune président (48 ans seulement) se montre assis, les jambes croisées, au coin d’un feu crépitant. « Salut à toi 1975 ! Je souhaite que tu sois une année accueillante pour les Français », lance-t-il, s’essayant pour la première fois au tutoiement et adressant aussi ses vœux aux « travailleurs immigrés qui vivent parmi nous et doivent se sentir à leur place ». L’année suivante, c’est avec son épouse Anne-Aymone qu’il présente ses vœux (il lui donne d’ailleurs la parole en fin d’allocution) à ses «compatriotes et amis », toujours au coin du feu. Aucun président ne s’y est essayé depuis. A la veille de l’année 1976, des fleurs violettes sont posés à ses côtés. Un an plus tard, il cite un poème de Paul Fort « dont on a fait une chanson » : «Si tous les gars du monde voulaient se donner la main »… « Si tous les gars de France voulaient se donner la main », tente-t-il, appelant à « la confiance » et à « l’unité » dans une « époque difficile ». Pour son avant-dernière allocution de Nouvel an, en décembre 1979, le chef de l’Etat marche vers son bureau et s’assoie. Un an et demi plus tard, le soir de sa la défaite, il fera exactement l’inverse à la fin de son discours : « Au revoir… »

Un président debout
Jusque-là, le président s’était toujours tenu assis, le plus souvent à son bureau. Ce 31 décembre 1997, Jacques Chirac innove et apparaît debout derrière un pupitre, comme pour mieux se poser en « garant » des institutions, lui qui est contraint à la cohabitation après l’échec de la dissolution de l’Assemblée. « Responsable de l’avenir de la Nation, j’interviendrai chaque fois que ses intérêts seront en jeu », prévient-il, multipliant l’emploi du « je » et les piques implicites contre son Premier ministre, Lionel Jospin. Plus jamais il ne prononcera ses vœux assis. Depuis décembre 1960, 16 allocutions de vœux ont été effectuées debout, position privilégiée par François Hollande pour ces deux premières interventions.

Un chef et des drapeaux
François Mitterrand a introduit, le 31 décembre 1981, quelques mois après son entrée à l’Elysée, les sous-titres pour les sourds et malentendants. Une « innovation » la plupart du temps conservée depuis lors. Mais c’est aussi sous sa présidence, il est vrai la plus longue de la Vème République, qu’apparaissent des drapeaux à ses côtés. Le drapeau tricolore d’abord, à l’aube de l’année 1985, lorsqu’il appelle les Français à la tolérance et à l’amour de la patrie : « L’union, le courage, et l’effort : c’est avec ce bagage qu’on gagne les victoires. Et moi, je crois de toutes mes forces à la France qui gagne », explique-t-il. Jusque-là, le seul drapeau français avait flotté sur les images qui précédaient les vœux du chef de l’Etat, en décembre 1978. Le drapeau européen s’invite à ses côtés le dernier jour de 1988. « La France est notre patrie et l’Europe, notre avenir », avait souligné François Mitterrand deux ans plus tôt. Depuis, s’afficher avec les bannières tricolore et étoilée est devenu une tradition, presque un passage obligé. « L’isolement de la France serait une folie », insiste Nicolas Sarkozy en décembre 2010, appelant à ne pas croire ceux qui prônent la sortie de l’euro.

Un président décentralisé
Tous les présidents de la Vème République ont prononcé leurs vœux aux Français depuis l’Elysée. Tous sauf un et une seule fois. C’était le 31 décembre 1988. Ce soir-là, François Mitterrand s’exprime depuis Strasbourg. Le choix de la cité alsacienne ne doit évidemment rien au hasard. C’est là, explique d’emblée le président, que Rouget de Lisle a « pour la première fois chanté la Marseillaise ». C’est « la capitale de l’Europe ». Et la ville vient de fêter « son deuxième millénaire ». Le cadre est idéal pour François Mitterrand, à quatre ans de l’abolition des frontières européennes. « C’est un risque me dira-t-on. Sans doute. Eh bien, ce risque est pris et je l’assume en votre nom (…) Le vrai risque serait au contraire de s’isoler, de se replier sur soi-même », plaide le chef de l’Etat. Une allocution de vœux qui s’achève symboliquement, pour la seule et unique fois, par le chant de la Marseillaise dans son intégralité, par les chœurs de l’opéra du Rhin.

Un seul direct
Prudence oblige, l’exercice des vœux est traditionnellement enregistré avant sa diffusion. Un seul s’est essayé au direct, mais en lisant son texte sur un prompteur. C’était le 31 décembre 2007. Ce soir-là, Nicolas Sarkozy, qui avait fait campagne quelques mois plus tôt sur une promesse de « rupture », défend ses débuts, appelle à la patience et évoque le « besoin » d’une « politique de civilisation » pour « bâtir les codes et la ville du XXIème siècle : intégration, diversité, justice, droits de l’homme, environnement, goût du risque et de l’aventure, sens de la responsabilité, respect, solidarité ». Trente ans plus tôt, en décembre 1977, Valéry Giscard d’Estaing avait, lui, dit improviser ses vœux.

Une référence spirituelle
La formule reste célèbre. Surtout de la part du premier président socialiste de la Vème République. C’était une première jamais renouvelée. Le 31 décembre 1994, François Mitterrand prononce les derniers vœux de son long règne. Et ose une référence spirituelle. Son visage est de cire, presque cadavérique. Miné par la maladie depuis de longues années (un cancer de la prostate), le président se sait condamné. Il termine son allocution par des mots qui resteront marqués à jamais dans l’inconscient collectif des Français : « Mes chers compatriotes, je n’apprendrai rien à personne en rappelant que dans quatre mois aura lieu l’élection présidentielle (…). L’an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses voeux. Là où je serai, je l’écouterai le coeur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m’aura si longtemps confié son destin et plein d’espoir en vous. Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas ». Avant le « Vive la République, vive la France ! », qu’il a, lui, toujours prononcé, il conclut : « Bonne année et longue vie ». François Mitterrand meurt un an plus tard, en janvier 1996, quelques mois après son départ de l’Elysée.

Des messages récurrents et des annonces
Les vœux sont d’abord l’occasion pour un président de parler valeurs, de diffuser quelques messages politiques (surtout à l’aube d’une année électorale), d’égratigner ses adversaires (notamment en période de cohabitation), souvent d’admettre des difficultés et de promettre des jours meilleurs. « Ni angoisse au-dedans, ni combat au dehors. Nous sommes en train d’accomplir une des plus réelles et fécondes réussites de notre histoire », se réjouit Charles de Gaulle le 31 décembre 1965. « Il vous arrive, comme à moi, en ouvrant le journal ou en tournant le bouton du poste, d’apprendre que tout va mal. En vérité, qui le croit réellement ? », interroge Georges Pompidou en décembre 1972. « Je ne souhaite pas vous ennuyer en vous présentant les actions à conduire dans la politique française, ni vous attrister en vous rappelant les difficultés et les risques réels du monde dans lequel nous vivons», insiste, deux ans plus tard, Valéry Giscard d’Estaing, promettant de rentrer dans le concret « le mois prochain ». Il faut attendre François Mitterrand pour entendre des annonces. Dès décembre 1981, le premier président socialiste de la Vème République détaille les réformes à venir : « Réforme de la Sécurité sociale, qui doit cesser de peser sur les seules entreprises et sur les salariés. Réforme de la fiscalité, qui doit cesser de freiner la volonté d’agir. Réforme de nos structures industrielles ». L’année suivante, il est contraint de défendre « ce que l’on appelle la politique de rigueur » et annonce au passage ses priorités à la jeunesse (« pas de jeune sans formation professionnelle »), à la famille (« l’aide au 2ème et au 3ème enfant représente un devoir national ») et à la solidarité (parce qu’« il n’y aura pas de redressement national sans le préalable de la justice sociale »).

En décembre 1995, Jacques Chirac, celui qui a le plus profité de ses allocutions de vœux pour faire des annonces, s’engage à « l’adoption rapide d’un projet de loi contre l’exclusion » et « la création prochaine de la prestation autonomie destinée aux personnes âgées ». En décembre 2003, c’est le tour d’une « grande loi de mobilisation contre le chômage », qui consiste à proposer davantage de flexibilité contre des droits renforcés pour ceux qui perdent leur emploi. L’année suivante, il annonce la tenue, avant l’été, d’un référendum sur la Constitution européenne puis, celle d’après, lance la réforme du financement de la protection sociale et reprend une idée chère aux socialistes : « instaurer une véritable sécurisation des parcours professionnels ». En décembre 2011, c’est au tour de Nicolas Sarkozy d’annoncer, pour le mois suivant, des mesures « importantes » sur l’emploi et la compétitivité. Manière d’enjamber la présidentielle qui se profile. C’est encore lors de ses vœux que son successeur, François Hollande, annonce, en décembre 2013, le pacte de responsabilité avec les entreprises.

La promesse de jours meilleurs
Ecouter en enfilade les allocutions de Nouvel an des chefs d’Etat depuis 1960 laisse une étrange impression. Une impression de redite. Car si les locataires de l’Elysée changent, si de petites nouveautés interviennent sur la forme, les mêmes mots reviennent (action, solidarité, confiance…) et la stratégie présidentielle ne change guère d’une année à l’autre : se poser en capitaine concentré sur sa tâche et qui a permis à la France, « contre vents et marées » (dixit François Hollande en décembre 2012), de prendre « la route qui monte » (selon une formule du général de Gaulle en décembre 1961). Pire : depuis la crise pétrolière de 1973, tous les présidents veulent voir le bout du tunnel, soucieux de donner de l’espoir mais laissant transparaître au final l’incapacité des pouvoirs publics à tenir leurs engagements. Notamment sur la lutte contre le chômage, souvent érigé en priorité. En décembre 1976, déjà, VGE promet pour l’année qui s’ouvre « les premiers résultats de nos efforts ». Deux ans plus tard, il explique : « A quelques signes, on reconnaît que cette crise commence à refluer lentement, comme une inondation qui se retire ». « Il aura fallu plus de quatre ans pour qu’on se rende compte que nous sommes sur le bon chemin », insiste François Mitterrand en décembre 1985. « Les efforts vont porter leurs fruits », jure Nicolas Sarkozy en décembre 2007, après «des années d’efforts et de sacrifices ». « Il ne s’agit pas de faire des discours ; on en a tant fait. Il s’agit d’agir », martèle-t-il. Jusqu’ici, François Hollande ne fait pas mieux. « Les résultats sont forcément longs à apparaître mais ils sont là. Et j’ai confiance dans les choix que j’ai fait pour le pays », dit-il dans ses vœux pour 2014. Détail amusant : en décembre 2004, Jacques Chirac s’engage à tout faire pour la croissance, évoquant son souhait de « permettre à celles et à ceux qui veulent gagner plus de travailler plus… » Ce sera le slogan de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007.

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