20 à 30 000 hectares d’Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (ENAF) disparaissent chaque année en France en raison de l’étalement urbain, y compris dans les zones en décroissance démographique. Pour lutter contre ce phénomène, le législateur veut donc encourager les communes à construire dans le périmètre de zones déjà urbanisées, notamment en recyclant des friches. Sinon, elles devront compenser en «renaturant» des surfaces construites. Une nouvelle donne qui pourrait susciter bien des crispations.

Consacré en 2018 par le Plan Biodiversité, puis en 2020 par la Convention citoyenne sur le climat, l’objectif « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) consiste à réduire l’extension des zones artificialisées en limitant les constructions sur des espaces naturels ou agricoles et en compensant l’urbanisation par une plus grande place accordée à la nature dans la ville. Il est ainsi demandé aux territoires, communes, départements et régions de réduire de 50 % leur rythme d’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020.
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Mais qu’est-ce qu’un sol artificialisé ? Cruciale pour déterminer comment réduire de moitié la consommation de foncier dans les dix ans – par rapport aux dix dernières années – puis atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon 2050, la réponse à cette question prend des airs d’usine à gaz. Elle figure dans l’un des deux décrets d’application de la loi « climat et résilience » publiés le 30 avril dernier, portant sur la nomenclature des terres artificialisées :
«Les surfaces dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites sont qualifiées de surfaces artificialisées». Au même titre que celles «végétalisées herbacées (c’est-à-dire non ligneuses) et qui sont à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d’infrastructures, y compris lorsqu’elles sont en chantier ou à l’état d’abandon».
Président de la Fédération nationale des schémas de cohérence territoriale (FédéScot), Michel Heinrich monte d’emblée au créneau : «Ça veut dire quoi ? Qu’il ne sera possible de construire sur un sol que s’il ne comporte pas d’arbres ? Tout cela manque de bon sens et de pragmatisme et ouvre la voie à un risque de contentieux.»
«La définition de la trajectoire d’artificialisation constitue une responsabilité politique intéressante pour les régions» note diplomatiquement Jules Nyssen, délégué général de Régions de France qui ajoute qu’elle permet de ne pas appliquer l’objectif de façon uniforme sur tout le territoire national. Le point de crispation porte toutefois sur le fait que le décret impose la fixation de la trajectoire dans le fascicule réglementaire du Sraddet de chaque région, avec l’obligation pour les documents inférieurs locaux de l’adopter strictement. C’est le point sensible qui donne aux Régions un rôle de gendarme dont elles se seraient volontiers passées d’autant que bon nombre d’entre elles ont vu leur territoire considérablement agrandi lors de la dernière réforme.
Beaucoup d’élus, même s’ils partagent l’objectif de préservation des espaces naturels, exigent dans sa mise en œuvre de la souplesse et du pragmatisme au niveau local. D’autant que cet objectif ZAN se heurte aux compétences des Maires en matière d’urbanisme. Car, depuis 1982, c’est bien le Maire qui délivre les permis de construire et définit les règles de construction à travers le PLU (Plan local d’urbanisme) soit directement soit via l’EPCI.
Plusieurs reproches sont en outre adressés à ces nouvelles obligations légales :
D’abord, le risque qu’elles accentuent les fractures territoriales en opposant les projets entre eux : de fait, l’élaboration du Schéma de cohérence territoriale (Scot) à l’échelle intercommunale risque de donner lieu à des négociations houleuses entre les communes qui sont au taquet –et devront donc renoncer à des projets– et celles qui ont de la marge sachant que ce sont les plus artificialisées qui seront avantagées puisque leur référence de départ est plus élevée.
D’aucuns soulèvent qu’une application trop arithmétique et indifférenciée du ZAN irait à l’encontre des ambitions par ailleurs affichées en matière de réindustrialisation du pays, les usines à créer ne pouvant être réalisées en zone dense. Même si, en réalité, l’industrie ne représente que 4 % des 5 millions d’hectares estimés comme artificialisés, soit 10 % de la surface de l’Hexagone, à comparer avec l’habitat (42 %) et les infrastructures de transport (28%).
Nombres d’architectes et d’aménageurs rappellent par ailleurs que l’objectif de sobriété foncière est inscrit dans la loi SRU de 2000 et que d’importants efforts ont déjà été accomplis depuis. La France reste d’ailleurs dans l’ensemble un pays peu dense avec une densité moyenne de 104 habitants au km², très inférieure à celle de nos principaux voisins : Allemagne (227 hab. /km²), Angleterre (266 hab. /km²), Belgique (370 hab. /km²) ou Pays-Bas (500 hab. /km²).
Cette volonté de préservation des espaces naturels heurte en outre le besoin de 12 à 15 millions de logements dans les trente ans qui constituent aujourd’hui les objectifs nationaux officiels : comment atteindre cet objectif avec le ZAN ? «Tout ça pour préserver à peine 1 % du territoire national. Le jeu en vaut-il la chandelle ?» s’interrogent divers acteurs en prémices à de nouvelles batailles villes / campagnes.
L’urbaniste bordelais Jean-Marc Offner va jusqu’à contester le rôle d’épouvantail mis sur l’étalement urbain. Car autant l’émiettement est néfaste, autant «il faut parfois consommer un peu d’espace pour créer de la continuité urbaine », explique-t-il. Pour lui, la notion d’artificialisation serait un «concept faussement simple : un golfe est-il artificialisé ? Et une terre cultivée ? Quid de l’imperméabilisation, de la biodiversité ? Les vignes du Médoc sont bien moins poreuses qu’un lotissement bien conçu ! Et si les routes sont mauvaises pour la biodiversité, les forêts en monoculture aussi» souligne-t-il à l’appui de son propos.
Dans le débat qui s’instaure, certains acteurs font observer que la France compterait 13 millions de jardins potagers de particuliers qui produisent entre 15 % et 25 % des fruits et légumes consommés, battant en brèche l’idée que le secteur bâti serait forcément stérile.
On le voit : les débats sur le ZAN –qui ne font que débuter– vont placer les élus locaux au cœur de problématiques complexes dans lesquelles des visions très différentes vont devoir se croiser et finalement converger pour définir ensemble à quoi ressemblera la gestion de l’espace et de l’urbanisme dans les décennies qui viennent.